Suspiria
13 novembre 2024 à 19h
Cycle
De toutes les couleurs
Dario Argento, Italie, 1977, 95 min
Suzy, une jeune Américaine, débarque en Allemagne pour y
suivre des cours dans une académie de danse prestigieuse.
À peine arrivée, elle est saisie par l’atmosphère étrange et
inquiétante de l’école.
Tourné en technicolor, le chef d’oeuvre de Dario Argento est
une sorte de voyage enchanteur et terrifiant qui laisse peu de
répit au spectateur et marque une étape fondatrice du cinéma
de la peur.
Bande annonce
Fiche du film
Critiques :
Journal du Dr Orlof - 2008
Si vous ne deviez voir qu’un « giallo » de votre vie, je vous conseillerais sans aucun doute Suspiria. Je rappelle pour mes éventuels lecteurs imbéciles, lecteurs du Nouvel observateur ou des tribunes de BHL, que le « giallo » est un peu l’équivalent de notre « série noire » nationale sauf qu’aux intrigues policières se greffe généralement un élément fantastique non négligeable.
Intrigue policière : la jolie et fraîche Suzy (la ravissante Jessica Harper qui nous avait déjà emballé dans Phantom of the paradise de Brian de Palma) débarque à Fribourg pour intégrer une académie de danse où ont eu lieu de mystérieux assassinats. D’énigmatiques événements ne cessent d’arriver : des asticots envahissent tout un étage de l’institution, un pianiste aveugle se fait égorger par son propre chien, les professeurs semblent se réunir secrètement la nuit…
Sur cette trame plutôt convenue, Dario Argento injecte une bonne dose de fantastique en ayant recours à la sorcellerie et à d’étranges sabbats.
Mais à vrai dire, le scénario est un élément totalement négligeable du film même si contrairement à certains films postérieurs du cinéaste (je pense à l’incompréhensible Inferno), celui de Suspiria se tient relativement bien et permet aux spectateurs de n’être pas complètement perdus.
Comme l’écrivait fort justement Paul Klee (rentabilisons mes lectures de la « bibliothèque idéale » !) : « La beauté, qui peut-être reste inséparable de l’art, ne concerne pas, en effet, le sujet, mais la représentation plastique ». Et c’est peu dire que Suspiria, sommet d’un certain cinéma baroque, ne tient que par son style.
Il faudrait d’ailleurs comparer ce film à ceux que Brian de Palma tournait à la même époque. Chez l’américain, le maniérisme est une manière de redonner vie aux genres défunts en travaillant la forme tandis que chez Argento, c’est moins les références cinématographiques qui comptent qu’une volonté de transformer une intrigue banale en véritable opéra baroque.
Tout est dans la forme : les compositions des plans sont toujours surchargées (voir le splendide face-à-face final avec la sorcière) et le cinéaste soigne particulièrement ses éclairages. D’une certaine manière, nous pourrions dire qu’Argento est un immense coloriste.
Suspiria est un traité des couleurs, avec ces lumières bleues, jaunes et surtout ce rouge qui envahit l’écran dès les premiers plans à l’aéroport. Ce traitement du rouge (tentures, vêtements, vin…) est intéressant puisque même le sang devient davantage un élément plastique d’un motif de répulsion.
Le film est souvent fort inquiétant et peut provoquer une certaine horreur (comme il est de rigueur dans le « giallo », les meurtres sont commis à l’arme blanche et sont particulièrement sanglants) mais ce sang à la couleur totalement artificielle participe plus de la composition du cadre, d’un désir de jeter encore plus de rouge sur la toile.
Un plan anodin m’a marqué dans ce film. Suzy discute avec un spécialiste de la sorcellerie en ville. Et sans la moindre raison apparente, Argento filme le temps d’un plan très bref ce début de conversation en plongée depuis le haut d’un immeuble.
Pourquoi ce plan si incongru, qui rompt totalement avec la règle du champ/contrechamp classique ? Pas véritablement de raisons si ce n’est le désir de faire prévaloir la forme sur le fond, de ne jamais faire oublier la caméra, première vedette du film.
Et c’est sans doute ce jeu de disproportions qui fait de Suspiria une sorte de petit chef-d’œuvre. Jeu entre la nécessité de suivre le fil d’un récit et de broder autour des motifs plastiques, entre un désir de surcharge permanent (décors, débauche de couleurs…) et de vider soudainement les plans (vastes couloirs inquiétants ou encore l’incroyable séquence de l’attaque de l’aveugle par son chien sur une place vide).
Rarement Argento aura maîtrisé avec une telle perfection un art qu’il convient absolument (ça va finir par se savoir !) de redécouvrir…
http://drorlof.over-blog.com/article-21424287.html
Ciné-club de Caen
https://www.cineclubdecaen.com/realisateur/argento/suspiria.htm