L'Enfer de HG Clouzot

27 novembre 2024 à 19h

Cycle 

De toutes les couleurs

R. Medrea, S. Bromberg, France, 2009, 95 min


L’histoire passionnante d’un film expérimental, à jamais

inachevé, sur la jalousie maladive de Marcel qui épie sans

relâche Odette, sa trop belle épouse.


Pour le tournage de L’Enfer, Henri-Georges Clouzot avait réuni

Romy Schneider et Serge Reggiani, mais il est tombé malade

et le tournage a été interrompu au bout de trois semaines.

S. Bromberg et R. Medrea redonnent vie à cette incroyable

expérience cinématographique.

Bande annonce

Fiche du film

Critiques : 

Le journal du Dr Orlof - 2009

Film interrompu après trois semaines de tournage suite à l’infarctus que fit Henri-Georges Clouzot sur le plateau, L’enfer est devenu l’un de ces films mythiques dont l’aura d’ « œuvre maudite » n’a cessé de grandir depuis une quarantaine d’années.

Chabrol reprit d’ailleurs le scénario de Clouzot pour en faire un remake fort réussi (avec Emmanuelle Béart et François Cluzet) mais de l’œuvre originelle, il ne restait qu’un tas de vieilles bobines prenant la poussière dans lequel l’infatigable fouineur qu’est Serge Bromberg alla mettre son nez.

Pour ceux qui l’ignorent, Serge Bromberg fait partie de ces collectionneurs fous qui recherchent encore dans les greniers quelques trésors enfouis, des bobines égarées qui recèleraient des merveilles. On lui doit de nombreuses émissions télévisées (Cellulo, Retour de flamme…) qui lui permirent de montrer ses découvertes. Avec ce film, il reconstitue minutieusement et chronologiquement toute l’histoire de l’enfer.

La limite de son documentaire est peut-être d’ailleurs dans ce côté un brin laborieux et consciencieux de cette reconstitution : entretiens avec des témoins de l’époque (Stora, Costa-Gavras, Lubtchansky, etc.), extraits d’émissions sur le tournage du film, extraits des quelques séquences tournées et des essais de Clouzot… A cela s’ajoute une « mise en scène » théâtrale de quelques extraits du scénario, jouée par Gamblin et Bejo. Pour ma part, j’ai trouvé ces passages assez inutiles et sans grand intérêt.

De la même manière, l’histoire de ce tournage est finalement anecdotique et l’on n’apprend pas grand-chose sinon que Clouzot était un metteur en scène perfectionniste et tyrannique, que Romy Schneider entamait alors un virage dans sa carrière qui lui permettrait d’oublier les viennoiseries dégoulinantes qui la propulsèrent stars pour l’entraîner vers des rôles plus vénéneux et troublants et que Reggiani quitta le tournage de l’enfer, furieux contre son metteur en scène. Bref, rien de bouleversant dans toutes ces « révélations ».

Pourtant, malgré ces faiblesses que je qualifierais volontiers de « télévisuelles », l’enfer d’Henri-Georges Clouzot devient un documentaire passionnant lorsqu’il exhume les images du film à proprement parler. Le scénario du film est désormais connu : il s’agit d’un drame de la jalousie classique mais une jalousie tellement névrotique qu’elle donne à Marcel (Reggiani) des hallucinations. Clouzot avait choisi comme dispositif de tourner les scènes de délires paranoïaques de son héros en couleurs alors que son film était en noir et blanc.

D’un côté, nous voyons donc des images du film inachevé (avec quelques cadrages superbes, comme cette contre-plongée sur Reggiani devant un viaduc), de l’autre, nous voyons les scènes fantasmées et les essais qui ont présidé à ces fameuses scènes.

A l’époque, Clouzot est fasciné par l’art cinétique et optique (à la Vasarely) et souhaite intégrer ce type de recherche plastique au cœur de son cinéma. Doté d’un budget illimité, il n’arrête pas de faire des essais : filtres de couleurs, images déformées, images kaléidoscopiques, jeu avec des éclairages sophistiqués sur différentes textures de peau (Romy est parfois couverte de paillettes ou d’une huile qui la rend toute luisante). Clouzot étant allé jusqu’à trouver les couleurs complémentaires qui lui permettrait de retrouver les teintes « naturelles » et un lac rouge avec une image en négatif (du coup, les acteurs ont du rouge à lèvres bleu etc.).

Pour ma part, j’ai trouvé ces essais totalement fascinants et réellement beaux. Le plus beau, c’est que je ne suis même pas certain que cette expérimentation cinétique aurait donné quelque chose de réussi au cœur de la fiction (Clouzot renouvellera l’expérience et cela donnera le médiocre La prisonnière). Mais pris séparément, comme un pur petit moment expérimental, ces essais sont d’une beauté assez renversante et mettent fort bien en valeur la sensualité de la croquignolette Dany Carrel et la beauté somptueuse de Romy Schneider qui avait alors 26 ans et qui est tout simplement sublime à tomber par terre.

Rétrospectivement, il est aussi assez amusant de se dire qu’un cinéaste somme toute très classique comme Clouzot (mis à part Le corbeau que je considère comme un chef-d’œuvre, je ne suis pas un grand fan du Salaire de la peur, des Diaboliques ou de Quai des orfèvres) fut un instant à la pointe de l’avant-garde et qu’il ne s’en relèvera pas.

Je crois que c’est Stora qui dit très justement qu’il a manqué à l’enfer un producteur qui puisse servir d’interlocuteur au cinéaste et qui lui aurait permis de ne pas se noyer dans sa démesure.

Le projet capota mais il en reste aujourd’hui, fort heureusement, quelques éclats qui scintillent encore de mille feux…

http://drorlof.over-blog.com/article-drame-de-la-jalousie-39548866.html

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